dimanche 8 avril 2012

Chapitre 8

                                                    Chapitre VIII


             Si l’on devait mesurer la valeur d’un homme au nombre d’ennemis qu’il s’est créé tout au long de sa vie, celle d’Ethan Law aurait plus de prix encore que le plus rare des joyaux que la terre n’ait jamais eu à offrir. Prestige ou malédiction ? Imaginez-vous l’effet que cela produirait si votre nom était profondément ancré dans l’esprit de plus de 6 milliards d’individus. Vous entreriez dans la mémoire de chaque être humain à travers la planète. Et pourtant vous ne connaissez qu’une centaine de personnes à travers le monde : tout le monde connaissait Sherrin Ford et encore aujourd’hui on se fait connaissance mais jamais Ford et tout ce beau monde ne s’étaient réellement rencontrés. L’ombre d’Ethan parcourait les continents, bien plus qu’il ne l’avait fait en réalité. Très jeune déjà, il nourrissait l’ambition de fouler du pied chacun des recoins les plus reculés de la planète. Jamais il ne lui serait venu à l’idée qu’un jour, c’est l’inverse qui allait se produire : c’est le monde qui allait le découvrir. C’est le monde qui allait vers lui. La Terre ne tournait pas autour du Soleil, non, elle gravitait autour d’un seul homme. Le monde entier était la clientèle du détective, lui et ses innombrables épines qui bouleversent le cœur des hommes.

Les yeux d’Ethan étaient témoins des situations les plus monstrueuses et les plus improbables dans lesquelles l’être humain n’ait eu à rencontrer. Mais le tableau horrible qui se peignait au fil des jours ne put lui arracher une larme, l’atrocité de la réalité humaine était paradoxalement trop forte pour pouvoir le toucher. Ethan n’était pas insensible, non loin de là. Il avait déjà gouté à ce frisson provoqué par ses joues arrosées et larmoyantes mais jamais cela n’avait trahi une quelconque tristesse, non, ses premières larmes, il les offrit à la plus merveilleuse femme qu’il ne lui a jamais été donné de rencontrer : Lana Livier.

Cet homme de nature si réservé qui, en même temps, dégage cette incroyable joie de vivre en ne cessant jamais de chercher le rire là ou peu de gens aimeraient s’y aventurer, c’est-à-dire même dans les moments les plus difficiles, cet homme-là, se dit qu’il est probablement plus supportable de sourire à la vie plutôt que de s’apitoyer sur les malheurs qu’elle peut nous causer. N’est-ce pas là les gens les plus malheureux ? Ceux qui, pour rassurer leur entourage afin d’éviter de nourrir la peine sur le visage des personnes qu’ils aiment, sont contraints de porter un masque et de mentir, car la souffrance n’est pas quelque chose qui se partage mais quelque chose de contagieux ? Ethan faisait partie de ces personnes qui gardaient leur blessures leur ronger l’intérieur et qui, malgré tout, souriaient comme pour remercier la vie de leur avoir arraché ce à quoi leur cœur s’était fermement attaché. En réalité, Ethan Law était profondément marqué par l’injustice de la vie, et cette colère, il la catalysait en traquant les plus endurcis des criminels à travers le monde. Mais il savait que jamais ça ne suffirait pour pouvoir croiser une dernière fois encore, ne serait-ce que pour l’ordre de quelques secondes, le regard le plus magnifique qui n’ait jamais illuminé avec d’autant d’éclat le visage humain. Il savait que plus jamais son cœur ne lui offrirait autant de force, de vie et d’immortalité en palpitant fort comme un tambour contre sa poitrine. Jamais plus il ne pourrait se permettre le loisir de contempler la beauté de ce visage si calme et innocent qui sommeillait à ses côtés. Jamais plu il ne pourrait gouter au contact des lèvres les plus exquises qui soit, jamais plus il ne pourrait poser son regard sur ces cheveux harmonieusement ondulés ou encore à ce petit nez qui laissait s’échapper l’air qui soufflait le long de son visage. Enfin jamais plus la vie ne lui autoriserait le contact avec cette peau si douce et si saine ou encore cette main qui invitait la sienne à la rejoindre pour former un pont, le pont le plus court mais le plus solide qui n’a jamais été créé. C’était dans ces moments comme celui-ci qu’il est étrange de remarquer à quel point il est si facile d’être séparés, qu’importe la solidité des liens. Comment appelait-on cela encore ? Ah oui ! L’Amour. Un seul mot pour tout un monde…  un monde qu’il est décidément bien difficile de protéger.

Voilà donc qui était Ethan Law : l’homme qui, ayant perdu le bonheur de sa vie, s’était donné pour mission de préserver celui des autres. Un désespéré, un ange gardien, un suicidaire ou encore un inconscient, appelons-le comme il nous en convient de l’appeler, le fait est que la planète tout entière se réjouissait d’en avoir fait sa propriété. La vie d’Ethan Law était faite pleine de victoires héroïques contre toutes volontés malsaines qui projetaient de briser la vie d’autrui. Cet homme s’était fait la promesse de redonner aux gens la force de croire en l’espoir, chose que lui-même pourtant avait déjà perdu depuis si longtemps, telle une flamme qui brille dans l’obscurité illuminant dans sa dance tous les regards qui se posent alors sur elle.

Je n’interviendrais personnellement en tant qu’auteur qu’une seule fois. Je tiens tout bonnement à m’excuser auprès du lecteur de ma maladresse : les émotions ont pris le dessus et mes larmes se sont échappées venant s’imprégner au centre des lignes. Mais je pense que le lecteur comprendra aisément que le cœur ne se tait jamais et que de ce fait il est toujours bon de ne pas le priver de la liberté de s’exprimer. Il est dur pour un romancier ayant transmis la totalité de son âme dans sa plume de supporter le poids des souffrances de ses personnages quand bien même nous détenons fatalement leur avenir respectifs. Mais il est si réconfortant pour l’écrivain de savoir ses lecteurs si proches de ses personnages qu’il se sent obligataire d’une dette énorme envers cette fidélité : il leur doit sincérité et franchise. Je vous avoue donc cher lecteur avoir pleuré à chaude larme en retranscrivant ce trait spécifique de notre cher Ethan alors, une dernière fois encore, ne soyez pas sévère envers cette terrible inconvenance.

Mais ne vous méprenez pas, Ethan Law est, aux yeux du monde, un homme incroyablement intelligent auquel aucun mystère n’a jamais pu résister à son esprit rationnel et calculateur jusqu’à maintenant. Cet Ethan-là n’a absolument aucune ressemblance avec celui qui se cache timidement « à l’intérieur ».

Ethan Law avait seulement 16 ans lorsqu’il fit connaissance du monde de la criminologie. Pour son anniversaire, on lui avait offert la toute première aventure de Sherlock Holmes « Une étude en rouge » de Conan Doyle. Ce célèbre personnage de roman le fascinait, non bien plus encore, il avait l’étrange impression de le comprendre. Tout comme Holmes, Ethan faisait preuve d’une incroyable faculté de déduction, et ceci avec une facilité si enfantine qu’on ne voyait en lui rien de comparable avec les garçons de son âge. Il était un parfait inconnu, pire encore, un extraterrestre.

Un jour, en rentrant chez lui il perçut la voix sa mère en train de converser dans le salon avec une jeune femme dont il n’avait aucun souvenir du son de la voix. Ethan posa ses affaires au pied du mur du hall d’entrée, pénétra dans la cuisine et empoigna la poignée du réfrigérateur. Le bruit occasionné parvint jusqu’à l’oreille attentive de sa mère.

       - Ethan ? Tu ne viens pas dire bonjour ?

       - J’arrive, j’arrive, répondit-il d’un ton las.

Ethan se saisi d’un soda et rejoignit le salon. La jeune femme siégeait sur le fauteuil de cuir noir qui faisait face à celui de Mme Law. Lorsqu’elle vit Ethan, elle afficha un sourire rayonnant qui venait compléter l’éclat resplendissant de ses cheveux blonds, bouclés comme des rubans effilochés. Ses yeux verts le dévisageaient de la tête au pied comme un détecteur d’objets métalliques. C’était une de ces rares personnes dont la Nature avait jugé bon d’épargner le portrait de ses coups de pinceaux porteurs de défauts afin d’en préserver toute la beauté de l’art.

     - Bonjour, fit Ethan en cachant ses émotions du mieux qu’il put.

     - Bonjour Ethan, lui répondit-elle en dévoilant ses dents parfaitement blanches et alignées.

Mais alors qu’Ethan s’apprêtait à monter à l’étage pour finalement rejoindre sa chambre, et sans doute dévorer un roman policier, il s’arrêta net. Il retourna sur ses pas et vint s’asseoir sur le dernier fauteuil libéré.

-         Madame, vous êtes danseuse de ballet, n’est-ce pas ? lança-t-il la tête relevée au plafond, les yeux vagues.

-         Oui. C’est vrai. Mais comment le sais-tu ? lui demanda la jeune femme en haussant l’arcade sourcilière, bouche bée.

-         Ah non Ethan, tu ne vas pas recommencer ! s’exclama Mme Law. On s’était mis d’accord, pas de déductions sur les visiteurs.

-         Oui, d’accord…

-         Oh, mais ça ne me dérange pas, rassura la jeune femme, au contraire ça m’intrigue beaucoup.

-         Non ne fais pas attention Marta, Ethan est disons…différent. Allez files dans ta chambre.

-         Non, non, vraiment, j’insiste, s’enquit la visiteuse prête à lui saisir le bras.

-         Elle insiste, répéta Ethan sur un ton radicalement différent.

Mme Law demeura silencieuse quelques secondes. Son regard passa d’Ethan à sa jeune amie, puis d’Ethan à elle. Elle céda finalement anxieuse, avec un pincement de lèvres significatif.

       -  Eh bien ? reprit la visiteuse.

       -  Je vois simplement que vous ne portez pas de chaussures à talon, lança                Ethan, le sourire au coin des lèvres. Pourtant, si j’en crois le catalogue de chaussures ouvert sur une page entièrement consacrée aux talons reposant sur la table, j’imagine que vous en faites une préférence personnelle. Il n’y a qu’une seule explication assez solide qui me vient à l’esprit capable d’expliquer que vous n’en portez pas aujourd’hui: vous vous êtes blessée en dansant sur la plante des pieds, je me trompe ? Les chaussures à talon, le talon lui-même étant surélevé, vous aurait contrainte à donner davantage d’appui sur vos doigts de pieds déjà endoloris. Il n’était donc pas question pour vous d’en porter, au moins jusqu’à ce que cela eut fini par guérir. De plus, bien que vos chaussures actuelles soient faites pour laisser à vos pieds toute la liberté de respirer, je remarque qu’elles sont enveloppées dans une paire de chaussettes, et qui plus est pas des plus fines. Pourquoi ? Je ne vois aucune autre explication que celle-ci : vos chaussettes n’ont pour but que de dissimuler des regards trop curieux le vilain pansement que vous avez pris soin d’apposer sur l’extrémité de votre pied gauche. Mais peut être que cela ne se cache pas aussi bien que vous l’espéreriez puisque je vois clairement que celui-ci présente une couche un peu plus épaisse que celle de votre pied droit, trahissant le tissu pharmaceutique.

          - Incroyable ! s’exclama la jeune femme en applaudissant, admirative.

          - Bien vous m’excuserez, fit Ethan en se relevant péniblement du fauteuil auquel il commençait cruellement à s’accoutumer. Mais j’ai pas mal de devoirs qui m’attendent. A une prochaine fois, peut-être.

Ethan n’attendit pas la réponse de leur hôte et avait déjà rejoint sa chambre. Le jeune homme était vexé. Il avait tant d’autres choses à révéler sur la personne de la jeune femme mais sa mère s’opposait toujours avec beaucoup de fermeté à ce qu’il dévoile impoliment sur un plateau d’argent la vie privée de toutes les personnes qu’il rencontrait. « Les gens détestent être percés à jours mais ils apprécient toujours grandement apprendre des choses sur les autres » lui disait-elle toujours accompagnée d’un bref sourire.

Aujourd’hui, les polices du monde entier sollicitaient ce don aussi irritable que spectaculaire qui faisait d’Ethan Law l’un des plus célèbres détectives consultants de la planète.



                                                            *

                                « - Je savais que je te trouverais ici.

Les paroles de Flynn venaient briser le silence absolu qui régnait dans la pièce. Aaron était assis au beau milieu de la scène de crime à quelques centimètres de la plate-bande qui retraçait les contours sur le sol de ce qui fut auparavant le corps inanimé de Marty Faint.

-         Flynn. T’en pense quoi exactement ? demanda Aaron d’une voix sombre sans se retourner.

-         De quoi est-ce que tu parles ?

Le rideau du silence s’abattit à nouveau. Le jeune détective s’immisça une nouvelle fois dans ses pensées puis après une bonne dizaine de minutes qui en paraissaient en une éternité, il reprit la parole.

-         J’ai beau lister, modeler et assembler tous les éléments du puzzle dans tous les sens inimaginables, je ne vois aucune porte de sortie. Qu’est-ce que nous avons à l’heure actuelle ? Une femme assassin invisible qui ne laisse aucune trace susceptible de nous mener jusqu’à elle, deux victimes ayant perdu la vie la même journée pour je ne sais quelle raison, une arme du crime qui porte les empreintes d’un suicidaire mort il y a 7 ans de cela, un téléphone portable empoisonné qui ne semble pas avoir affecté la première victime mais exclusivement la deuxième quand bien même toutes les deux l’ait touché, un professeur de physique un peu douteux, un message étrange…

-         Un message étrange ? le coupa Flynn.

-         Oui. Une vieille enseignante nous a rapporté le fait qu’un ancien professeur appelé Robert Mayson, qui n’était autre que le père de Marty Faint, notre victime, s’est suicidé chez lui il y a 7 ans de cela.

-         Le père de Faint ? répéta Flynn abasourdi.

-         Attends il y a plus intéressant encore : il a laissé un message d’adieu derrière lui dans lequel il indique que dans les 7 années à venir ses enfants connaitront un changement important.

-         « Ses enfants » ?  Mais je croyais que Marty Faint était fils unique ? s’enquit Flynn, les sourcils froncés.

-         C’est le cas. C’est pourquoi j’ai du mal à saisir le sens de ce message. Et puis quel changement prévoit-il ?

-         Aucune idée et je ne pense pas qu’on trouvera les réponses à nos questions de sitôt.

Aaron approuva d’un grognement étouffé.

-         Bon. Et en ce qui concerne le stratagème de la chambre close, tu as une idée de la façon dont a procédé l’assassin ?

Un second grognement vint trahir l’impuissance du jeune détective. Mais cette fois-ci, Aaron croisa le regard de son ami.

-         Oh ! Quel regard électrique ! s’exclama Flynn d’un ton laconique.

Mais voyant qu’Aaron restait impassible à ses traits d’humour, le sourire moqueur du colosse s’effaça peu à peu. Le jeune détective faisait de grands yeux et Flynn était persuadé que s’ils s’étaient réincarnés dans un dessin animé, il aurait pu apercevoir la petite ampoule clignoter au-dessus de sa tête d’un air ingénieux. Visiblement, les neurones ont finis par s’entrechoquer et provoquer enfin un déclic.

-         Quoi ?

-         Electrique…, marmonna Aaron, pensif.

-         Hein ?

L’adolescent se releva soudainement. Mais avant que Flynn n’ai pu lui demander davantage d’explication, il traçait déjà le tour de la pièce de ses pas, les mains croisés derrière le dos et les yeux clos comme à son habitude. On aurait dit un somnambule déambulant dans tous les sens possibles et bien sûr sans raison apparente.

-         Tu es un génie Flynn, reprit brusquement Aaron cette fois à voix haute.

-         Il m’arrive de l’être, renchéri le colosse d’un air fier. Mais dis-moi plutôt ce qu’il y a.

-         La première fois que je suis rentré dans la pièce, lorsqu’on a découvert le corps avec Keisuke, j’ai saisi la clef et au contact j’ai clairement senti un courant électrique me parcourir les doigts. J’en suis certain maintenant, ce n’est pas un hasard et c’est surement un indice indispensable qui permettra de comprendre le stratagème utilisé.

-         Un courant électrique ? Mais tu es sur qu’il s’agit là d’un lien avec notre aff...

Flynn s’interrompit sous le poids du regard inquisiteur que lui jetait son ami.

-         Oui évidemment, excuse-moi, reprit-il en baissant la tête.

-         Voyons voir…Le seul moyen de faire entrer la clef au centre de la pièce depuis l’extérieur est de se servir de cet espace qui sépare le pied de la porte à la surface du sol. La hauteur ne dépasse pas les 5 mm mais sachant que l’épaisseur de la clef est de 3 mm, c’est largement suffisant.

-         Et si la tueuse avait tout bonnement donner un simple coup de pied contre la clef afin de lui faire traverser la pièce depuis le couloir ? hasarda Flynn.

-         Idiot, j’y avais déjà pensé. C’est impossible. Tu as déjà oublié que la clef a été retrouvée sous la main de la victime ? De cette façon, la clef n’aurait jamais pu s’y trouver.

-         Bien, c’est très sympathique de démolir allègrement toutes mes théories mais il serait peut-être temps d’en trouver une assez solide tu ne crois pas ?

Aaron lui répondit d’un sourire forcé.

-         Alors, où vous en êtes tous les deux ? lança Flynn dans un ton plus subtil.

-         Qui ? répliqua Aaron perdant le fil de la conversation.

-         Épargne-moi le coup de celui qui ne voit pas à quoi je fais allusion. Je parle de toi et d’Aria bien sûr.

-         Rien de spécial. On est de bons amis, c’est tout.

-         De bons amis ? Tu veux rire ? On croirait deux super-aimants qui n’arrivent pas à se défaire !

Le silence retomba.

-         Des aimants ? reprit Aaron d’un ton détaché.

-         Et voilà que ça recommence ! souffla Flynn en relevant la tête en arrière, les yeux dirigés au plafond.

-         Un courant électrique, des aimants et… une clef. Une clef en fer ! Un conducteur !

Le jeune détective bondit d’un seul coup dans les bras de Flynn comme un petit singe répondant aux appels de sa mère. ( aux appels d’une banane tentatrice et irrésistible).

-         Hé !

-         T’es génial vieux ! explosa Aaron surexcité.

-         Quoi ? Qu’est-ce que j’ai encore dit ? répliqua le colosse tentant de se détacher de l’étreinte de son ami.

-         J’ai compris ! Je sais comment cette femme s’y est prise pour commettre son crime !



*



-         J’espère pour vous que vous avez une bonne raison de m’avoir dérangé, Law, avertit l’inspecteur Dowper. Ce n’est pas un jeu et l’atmosphère est déjà assez tendue comme ça.

-         Vous n’allez pas le regretter, rassura Aaron en affichant un immense sourire.

-         Croyez-le, c’est un sacré tuyaux qu’il a là, confirma Flynn.

-         Eh bien allez-y, Law. Epatez-nous.

-         Monsieur, tout d’abord il faut que je vous fasse part d’une chose, sinon je doute que vous y compreniez quelque chose.

-         Allez-y.

-         A la découverte du corps de Marty Faint, au moment même où j’ai saisi la clef de la salle, j’ai senti comme un courant électrique.

-         Un courant électrique ? répéta Dowper incrédule.

-         Oui, je n’y avais pas prêté plus d’attention que ça au départ mais je viens seulement de réaliser à quel point c’est très important. La clef est bien en fer, n’est-ce pas ?

-         Oui, mais…

-         Et le fer est une matière conductrice d’électricité, n’est-ce pas ?

-         Oui, oui, mais…

-         Donc sensible au magnétisme, oui ?

-         Law ! s’époumona Dowper. Je n’ai pas le temps de jouer aux devinettes alors venez en au fait. Qu’est-ce que vous essayez de nous dire exactement ?

-         Monsieur, je pense que l’assassin s’est simplement créé un aimant et s’en est servi pour déplacer la clef par électromagnétisme.

L’inspecteur plongea son regard dans celui d’Aaron avec une intense profondeur comme s’il tentait de l’hypnotiser. Aaron se noyait littéralement dans ce néant oculaire qui lui agrippait sévèrement le visage. Ce combat silencieux failli lui faire manquer l’équilibre, mais soudain, le rideau s’abattit sur le visage de l’inspecteur chassant sa mauvaise humeur qui lui collait la peau depuis la veille. Il laissait place désormais à une mine enjouée peignée d’un agréable sourire. Visiblement, le policier était ravi d’entendre pareille nouvelle. Même si en réalité elle venait de la bouche d’un gamin de 17 ans.

Chapitre 7

                                                     Chapitre VII: Mensonges




Quatre suspects: une prof d’anglais, un prof de physique-chimie, une prof de français et une prof d’histoire-géo. Chacun des quatre se retrouvent sans alibi valable. Mais parmi tous ces enseignants, seul Schaeffer, le professeur de chimie, méritait l’attention d’Aaron, enfin pour l’instant. A première vue, Schaeffer semblait être le seul habilité à mettre la main sur une solution de cyanure de potassium et c’était de surcroit le seul à bénéficier d’autant de temps libre le matin du meurtre. «  45 minutes ! Il aurait eu le temps de faire le tour du monde ! » s’exclama Aaron. Mais il y avait autre chose encore : le comportement de Schaeffer était plus qu’étrange et dieu sait que l’adolescent était doué dans l’analyse comportementale !

-         Qu’y a-t-il, Mr Law ? s’enquit l’inspecteur en haussant les sourcils en signe de surprise.

La salle était désormais vide de ses occupants mais la tension y était toujours autant palpable.

-         Monsieur, Schaeffer nous caches forcément quelque chose, fit Aaron posément. C’est un mauvais comédien, je connais son personnage et ce qu’il cache.

L’inspecteur jugea le jeune garçon du regard comme s’il s’attendait à voir quelque chose de spécial apparaitre soudainement de nulle part, comme un magicien sortant ses lapins de son chapeau.

-         Eh bien je vous écoute, petit. Éclairez-moi, répondit le policier en levant la tête aussi haut que sa taille le lui permettait.

Le jeune détective ferma les yeux et croisa ses bras derrière son dos.

-         Premièrement, lorsque Schaeffer prétendait s’être accoudé à son bureau afin d’entamer ses corrections, son regard s’est très rapidement détaché du votre. Bien sûr que vous l’avez vu, mais vous n’aviez pas jugé bon de lui donner une interprétation. C’est une nervosité faciale extrêmement populaire des menteurs, vous le saviez, mais vous n’y avez pas pensé. Beaucoup de signes vous bombardaient pourtant votre champ de vision : il passait régulièrement sa langue sur ses lèvres et tentait toutes les deux minutes d’avaler le peu de salive qui lui restait du fait de la montée de stress qui lui bloquait l’action des glandes salivaires. Au moment précis où notre homme parlait de ce qui l’occupait pendant les fameuses 45 minutes, il s’est délicatement étiré les bras au-dessus de sa tête pour se donner un temps de répit : cela lui donnait l’illusion d’être en sécurité en sachant sa parfaite maitrise de ses membres. Après s’être étiré, ses mains n’ont jamais quitté le contact avec son corps, il est clair qu’il n’était pas à son aise. Son visage était bien plus dirigé vers la droite ce qui ne peut que trahir des pensées que l’on veut cacher. Quant à ses pieds, il ne cessait de les frotter aux pieds de sa chaise avec une telle nervosité qu’il aurait facilement irrité le plus insensible des hommes. Voyez monsieur, c’est le mensonge qui parle.

-         Bonté divine ! s’exclama Dowper. Mais d’où tenez-vous donc toutes ces extraordinaires facultés d’observation ?

Aaron libéra ses yeux de l’emprise de ses paupières.

-         Eh bien c’est exactement la question qui ne cesse d’occuper mes pensées, monsieur, fit Aaron en arborant un sourire timide.

-         Oui, enfin quoiqu’il en soit, je pense qu’on finira par lui faire cracher le morceau, c’est de notre ressort, fit le policier en bombant le torse d’un air fier.

-         Inutile.

-         Pardon ?

-         Je sais ce que notre lascar nous cache.

L’air qui emplissait les poumons du policier s’échappaient soudainement comme si on avait éclaté un ballon. Il regardait maintenant Aaron d’un air interrogateur.

-         Il vit une aventure avec une des enseignantes.


Chapitre 6

                                        Chapitre 6: L'affaire s'épaissit



         Lorsqu’Aaron parvint jusqu’au lycée le lendemain matin, la première chose qu’il vit fut la présence d’un nombre impressionnant de véhicules de police qui encerclant le bâtiment de leur corps métalliques : une vingtaine de voitures de fonction dont  les gyrophares peignaient  la devanture de l’école d’un éclat écarlate, comme pour immortaliser  la tragédie qui s’était produite la veille. Aaron s’en réjouissait, car si l’établissement était aussi bien encadré par les forces de police, il y avait de fortes chances qu’il en était de même pour l’assassin.

Le jeune détective se mit aussi tôt à repérer la présence de Flynn parmi les milliers d’uniformes bleus qui tourbillonnaient dans toutes les directions et tous les angles possibles mêlés à une foule de curieux qui grossissaient comme une fourmilière. Bien entendu, c’était impossible. Il allait donc devoir poursuivre seul.

Mais en s’approchant de plus en plus de l’entrée du bâtiment, l’étudiant pris soudain conscience d’un inconvénient majeur dont il n’avait pourtant pas songé : comment allait-il pouvoir pénétrer à l’intérieur des lieux maintenant que la police contrôlait les entrées et sorties ? Il n’allait surtout pas laisser le passage à un gamin de son âge. Leur dire qu’il s’agissait de son lycée ? Non, aucune chance puisque les cours étaient annulés jusqu’à nouvel ordre.

-         Stop ! Entrée interdite à toute personne étrangère à l’enquête, jeune homme, s’opposa un des policiers qui gardaient l’entrée.

Ah ! Voilà une excuse.

-         Bien entendu, Mr le Policier. Mais il se trouve que je suis un témoin déterminant de l’affaire et que l’inspecteur en charge du dossier m’avait averti de ce genre de contretemps que je risquais de rencontrer en venant sur les lieux.

-         Pourquoi ne m’a-t-on rien dit ? interrogea le policier frustré.

-         Ecoutez, je n’en ai aucune idée. Mais j’imagine que la meilleure chose à faire est de me libérer le passage sans quoi il risque d’y avoir des retombées si vous vous opposez aux décisions prises par votre  supérieur hiérarchique. Je me trompe ?

Le policier chercha le soutien de ses collègues mais ces derniers le regardèrent avec une  insistance évocatrice. Le policier se sentit mis à nu par la vingtaine de paires d’yeux qui le cuisinait du regard si bien qu’il fit signe à Aaron de passer, profondément indigné.

A peine le grillage d’entrée passé, son attention se porta sur  un homme d’âge mûr qui se tenait comme un piquet au milieu de la cour. Il était accompagné d’une jeune fille qu’il reconnut immédiatement. Et elle aussi du le reconnaitre puisqu’elle interpella  l’homme qui l’accompagnait en pointant du doigt le jeune détective. L’homme se retourna et en quelques enjambées parvint à sa hauteur.

Aaron fut surpris de constater qu’il était une de ces personnes gigantesques que l’on s’étonne toujours de rencontrer au quotidien, un peu plus d’1,90m, large d’épaule, et même si sa stature était impressionnante, son visage l’était encore bien davantage. La mâchoire carrée, un nez ressemblant fortement à un  bec d’aigle et des yeux d’une extrême noirceur que l’on comparerait aisément à deux morceaux de ciel nocturne lui peignaient un profil fort angoissant. Les traits de son visage étaient dur, sévères et témoignaient la pratique d’une profession exténuante qui sollicitait bien des nerfs d’acier. Tout dans le personnage dégageait une espèce de volonté inébranlable qui s’était forgé avec le temps si bien qu’il devait être le genre de personne à laquelle rien ne semblait échapper et dont respect et obéissance étaient les maitres mots. Aaron soupçonnait d’avoir à faire au responsable de l’enquête lui-même. C’est d’une voix grave qui dissimulait mal sa colère que l’homme interpella le jeune détective.

-         Répondez-vous au nom d’Aaron Law, jeune homme ?

-         Oui, c’est bien moi en effet, répondit l’étudiant surpris par cette entrée en matière si brutale.

-         Je suis l’inspecteur Hugh Dowper et voici ma fille Sepia. J’ai appris que vous étiez la deuxième personne à interagir sur les lieux du premier crime, vous confirmez ?

-         On vous a bien informé, inspecteur, confirma Aaron. J’ai pu effectivement pénétrer sur le lieu du crime et…Mais attendez.

Aaron fronça les sourcils.

-         Qu’y a-t-il ? interrogea l’inspecteur.

-         La façon dont vous m’exposez la situation, « le premier crime », vous voulez dire qu’il y en a un deuxième ?!

Miséricorde. Cette information devait demeurer méconnue du grand public d’autant plus que cela tenait davantage au miracle que la nouvelle d’un second drame n’ait pas filtré au sein des médias. Dowper s’en voulut énormément de son incompétence. L’inspecteur et le jeune détective demeurèrent silencieux pendant un long moment sous le regard impatient de Sepia Dowper dont la présence même semblait s’effacer de leur esprit.

-         Eh bien Papa, dis-le lui ou alors c’est moi qui m’en charge, s’enquit la jeune fille tapant du pied.

Le père soupira. Il commençait déjà à regretter d’avoir céder aux caprices de sa fille pour l’accompagner sous prétexte que, si elle voulait un jour devenir enquêtrice scientifique, elle devait acquérir de l’expérience. Il allait devoir se montrer plus ferme vis-à-vis de sa fille, ne serait-ce que pour préserver son image au sein de la Commission d’enquête.

-         En temps normal, je ne peux divulguer les éléments de l’enquête à toute personne qui s’avèrerait être sans lien direct avec elle, mais puisque tu constitues en soi un élément direct et fiable dans sa résolution, j’imagine qu’il m’est possible de faire une petite exception.

Alors écoute-moi bien car je ne le répèterai certainement pas une deuxième fois. J’imagine qu’il est déjà assez difficile de le réaliser. Il se trouve que Jayne Filler, la petite amie de la victime, a été retrouvée empoisonnée chez elle aux alentours de 20h15. Deux victimes le même jour, en l’intervalle de seulement quelques heures et l’assassin toujours en liberté.

-         Qu’est-ce que vous dites ? s’exclama Aaron abasourdi par la nouvelle.

-         Gamin, il me semble pourtant t’avoir averti que je ne prononcerai ces mots qu’une seule fois.

Impossible. Cela dépassait largement tout ce dont pouvait imaginer le jeune détective. Aaron fut visiblement pris de court, lui qui semblait si sûr de lui il y encore seulement quelque temps. D’abord une chambre close et puis ensuite, en considérant qu’il s’agisse du même auteur, un double meurtre : il y avait de quoi être saisi d’horreur.

-         Avez-vous un suspect ?

-         Oui, enfin ce n’est plus vrai dès lors que l’infortunée Jayne Filler a trouvé la mort. On la considérait comme notre seule suspecte et voilà qu’elle s’échappe du monde des vivants.

-         Vous pensez au suicide ? tenta Aaron  d’un air suspicieux.

-         « C’est peu probable, jeune homme. Je suppose que je vous dois bien un rapport détaillé de l’avancé de l’enquête pour clarifier aux maximum  les faits. Je vais donc tenté d’être bref sans omettre le plus fin des détails. D’après un examen approfondi, Marty Faint, la première victime, a trouvé la mort en recevant la charge meurtrière de son assassin en plein cœur. Rapide, net et précis. On suppose que les évènements sont survenus entre 10h 15 et 11h15 tandis que la victime n’avait pas cours de toute la matinée. D’après ses camarades présents ce jour-là, il avait demandé les clefs de la salle 238, leur salle de classe principale, auprès du délégué de classe qui n’était autre que sa petite amie elle-même, afin de pouvoir trouver le calme pour ne pas perturber ses révisions d’examens de fin d’année.

Seulement, durant le peu de temps qui précédait la tragédie, certains élèves ont surpris Marty Faint et Jayne Filler se quereller, ce qui était assez rare comme diraient certains, mais ils ne pourraient nous informer de la raison de leur dispute. La plupart confirment que leur entrevue a pris fin lorsque Jayne lui a remis les clefs en main propre. La suite vous la connaissez. Enfin j’entends, tout ce dont vous avez pu voir sur la scène de crime, mais ce que je vais vous révéler est vraiment tout ce qu’il y a de plus ahurissant.

Entre nous soit dit, j’ai interrogé Hiro Keisuke, un des témoins. Apparemment, vous avez pu déduire assez d’éléments convaincants et d’une remarquable habileté. Je ne saurais expliquer d’où vous vient cet étonnant talent, mais sachez seulement que la police ne fera pas la sourde oreille à vos remarques, gamin, j’y veillerai personnellement. »

«  Quoi qu’il en soit, comme vous l’avez fait remarquer, le crime perpétré à l’encontre de Marty Faint est un authentique cas de meurtre en chambre close dont nous n’avons encore aujourd’hui aucun élément nouveau permettant de nous éclairer sur le procédé utilisé par son assassin. En tout cas, nous pensons que le mystérieux message, qui malheureusement n’a pas été écrit à la main mais bien à la machine, sans quoi nous aurions pu en faire un examen graphologique, ce message donc, nous pensons qu’il constitue la clef de tous ces meurtres. Encore faut-il en comprendre la signification. Mais nos équipes sont déjà penchées sur le problème. 

Bien. A présent, ce que je vais vous révéler vas certainement vous stupéfier, Law. Figurez-vous que le téléphone portable, qui était dans un premier temps sur le sur le lieu du premier crime, comporte des traces de cyanure de potassium sur certaines touches. Or, il se trouve que Jayne Filler a fait l’objet d’un empoisonnement au cyanure le jour même, et, comme on me l’a informé, celle-ci a récupéré son téléphone sur les lieux. Il est donc indéniable que ce téléphone constitue l’arme du crime de la malheureuse. Mais tout le mystère réside là, nous n’avons trouvé aucune trace de cyanure en dehors de celles trouvées sur le portable, et ce même en vérifiant les mains de Marty Faint. Pourtant, si celui-ci a emprunté le téléphone auprès de sa petite amie, il est tout naturel de penser qu’il s’en est servi, sinon à quoi bon ? Alors pourquoi, n’a-t-on trouvé aucune trace de poison sur Faint ? Et puis, on ne sait pas si ça a sa place dans cette affaire, mais un numéro inconnu est affiché en mémoire à l’heure précise de 10h33, donc au moment où la victime se trouvait très probablement dans la salle. Mais le mystère ne prend pas fin pour autant. Non au contraire, il s’épaissit davantage par le biais d’un détail encore plus troublant. »

L’inspecteur interrompit son récit, désireux, en tout bon conteur, de tenir en haleine son interlocuteur. Visiblement, l’effet fut réussi car Aaron bouillonnaient d’impatience et ne semblait guère apprécier le suspens opéré par le chef de la police.

-         Quel détail ? interrogea l’étudiant dévoré par une folle envie de secouer le représentant de la loi.

S’il n’y avait pas sa fille à ses côtés, il aurait sans doute déjà fait.

-         Nous savons à qui appartiennent les empreintes présentes sur le couteau utilisé pour poignarder Faint, répondit posément le policier.

-         Il y avait des empreintes ? Je croyais que l’assassin portait des gants ? A qui appartenaient-elles ? s’enquit le jeune détective.

-         A un certain Robert  Mayson.

-         Nous avons donc un suspect ! s’exclama l’adolescent avec un large sourire.

L’inspecteur secoua la tête.

-         Il s’est éteint il y a 7 ans de cela déjà. D’après l’enquête officielle, il s’est suicidé par la corde, au sein même de cet établissement. Ce lycée est vraiment le lieu le plus maudit qu’il m’est jamais été donné de rencontrer. Mais sachez qu’il n’est pas dans ma nature de croire aux histoires de fantôme, Law.





*



-         Nous y voilà inspecteur. L’ensemble du corps enseignant est réuni dans la salle d’études. Ils n’attendent plus que vous. »



-         Très bien, j’arrive. Empressez-vous de les rejoindre.

Aaron tenait plus que tout à accompagner l’inspecteur Dowper et sa fille pour les interrogatoires et à son grand étonnement, ce dernier n’y avait  formulé aucune objection. C’était la seule manière d’obtenir de nouveaux indices et donc de pouvoir avancer dans son enquête. Quel excitation tout de même tous ces mystères qui s’imbriquaient et s’emmêlaient dans cette affaire !

Lorsqu’ils furent au pied de la porte de ladite salle, Aaron ne put s’empêcher de frémir à l’idée que l’assassin se trouvait forcément à l’intérieur.

L’inspecteur franchi  le seuil et les deux adolescents lui emboitèrent discrètement le pas. Aussitôt, des flashs de regards les dévisagèrent comme s’ils n’avaient rien d’humain. La plupart  des enseignants n’étaient guère enchantés d’être retenu entre quatre murs de la sorte, comme des criminels ou pire des animaux. Mais l’inspecteur Dowper avait pris l’habitude, avec le temps et l’expérience, de ce sentiment et resta de marbre aux effusions de plaintes qui balayaient la salle.

«  Bien le bonjour à vous tous, commença l’inspecteur, je vous remercie d’avance pour votre aimable coopération. Mais ne nous engageons pas dans le méandre des mirages : vous allez tous, tout à tour, nous exposer ce que vous faisiez dans la journée d’hier. Mais entendons-nous bien, en aucun cas il ne vous sera porté préjudice si vous n’avez de près ou de loin été lié à cette affaire, d’autant plus que, avouons-le, aucun d’entre vous ne fait l’objet de suspicion. J’aimerais préserver ce climat d’entente au plus long terme, ne serait-ce que pour garantir un certain équilibre dans nos investigations.

Dans ces conditions, il va être tout à fait légitime de penser que seul l’assassin sera étranger à cet environnement car c’est bien sur lui-même qui en est l’auteur. Il a parsemé autant de preuves et de traces qu’un jardinier disposerai de ses fleurs et a semé la mort tel qu’on cultive les graines qui s’enracinent au sol. Messieurs dames, nous voici ancrés dans le décor que l’assassin s’est empressé de planter. A nous de retrouver ce qui s’y passait en premier plan…sur la scène. Considérons-nous comme de simples techniciens car il s’agit bien là de mener le diable sous les feux des projecteurs. »

Aussitôt les enseignants avertis, il y eut quelques murmurent qui flottèrent dans la salle mais ces derniers furent rapidement réduit au silence lorsque l’inspecteur se planta devant la personne à sa gauche, d’un air imperturbable.

C’était un homme d’une trentaine d’années qui semblait se morfondre contre le dossier de sa chaise comme s’il s’agissait d’un fauteuil. Ses yeux noirs semblables à ceux d’un ours en peluche qui s’enfonçaient derrière ses grandes lunettes en verres épais dévoraient jalousement l’attention de tous ceux qui les croisaient, si bien que beaucoup de traits pouvaient facilement se soustraire aux regards les moins aguerris. Pourtant, un œil neuf aurait été immédiatement frappé par ces oreilles incroyablement petites dont la forme rappelait drôlement celle d’un bretzel, de ce front immense et frustré qui donnait l’illusion qu’il gagnait en hauteur, de ces cheveux en bataille ainsi que cette barbe très dense qui témoignaient cruellement d’un manque d’attention et de soin ou encore ces lèvres compressées nerveusement l’une contre l’autre jusqu’au sang. Ses mains blanchies par la craie ne cessaient de se tortiller frénétiquement l’une contre l’autre et la pression exercée sur les os de ses phalanges provoquait un son écœurant qui vous collait à l’oreille comme une puce. Visiblement, ses muscles refusaient de lui obéir au profit des conquêtes (expansion) d’une nervosité dévorante (impitoyable) qui s’attaquait sans relâche à son système cérébral impuissant. Voilà un homme capable de redéfinir l’expression «  être mal dans sa peau » !

-         Monsieur, s’engagea-t-il, puis-je avoir votre nom ?

-         Certainement, lui répondit son interlocuteur d’un ton désinvolte. Je me nomme Arnold. Arnold Schaeffer.

-         Quelle matière enseignez-vous ?

-         Je suis professeur de physique-chimie.

-         Etes-vous le seul enseignant à instruire cette matière ?

-         Oui.

-         Bien. Comme vous vous le doutiez certainement, je vais vous demander de m’éclairer sur ce que vous faisiez dans la journée d’hier, ou plutôt dans la matinée entre 10h15 et 11h15.

Le professeur réajusta ses lunettes sur le dos (l’arcade) de son nez à l’aide d’un index tremblotant et poussa un long soupir d’approbation.

-         Très bien. Je sortais tout juste de cours avec la classe de 1ère à 10h00 pile. Immédiatement après la sonnerie, je me suis rendu dans la salle des professeurs afin de faire des photocopie d’un cours en polycopié pour la classe de terminale que j’allais prendre à 10h05. Entre 10h05 et 10h30, je n’étais nulle part d’autre qu’en salle de classe avec les Terminales.

-         Vous aviez fait un cours de seulement une demi-heure avec la classe de Terminale ? s’étonna Dowper.

-         C’était un cours de travaux pratique qui ne demandait que la moitié de l’heure, se justifia le physicien.

-         Est-ce la première fois qu’il vous arrivait de faire un cours de si petite durée ?

-         Non. J’en fais au moins un toutes les semaines soit le jeudi soit un vendredi. En l’occurrence hier nous étions vendredi.

-         La sonnerie sonne-t-elle toujours 5 minutes avant et après chaque heure de la journée ?

-         Oui. A l’heure pile, les cours prennent fin puis ils reprennent 5 minutes plus tard. Il y a donc 5 minutes d’interclasse.

-         Y avait-il quelqu’un dans la salle des professeurs au moment où vous y êtes allé ?

-         Non, il n’y avait personne.

-         Donc personne pour confirmer votre présence à ce moment-là.

-         En effet, admit Schaeffer d’un air méfiant.

-         Parmi cette classe de première dont vous étiez à charge jusqu’à 10h00, Marty Faint en faisait-il partie ?

-         Oui. Il était bien présent.

-         Etait-il dans son état normal ?

-         Que voulez-vous dire ?

-         Eh bien, paraissait-il nerveux ou angoissé ? interrogea l’inspecteur exaspéré.

-         Non pas à ma connaissance. En fait, il paraissait plutôt de bonne humeur et était surexcité au point que j’avais de la peine à le calmer. Je voyais bien qu’il ne tenait pas en place. Bien sûr c’est tout à son naturel d’agir ainsi, après tout tous ces messieurs dames vous le confirmeront, dit-il en désignant du regard ses collègues, c’est le caractère que nous lui connaissons mais je dois avouer qu’il était étrangement excessif dans son comportement.

-         Vous ne saurez nous dire la raison de son excitation ?

-         Malheureusement non.

-         Comment a-t-il réagi à votre rappel à l’ordre ?

Soudainement, le visage du professeur se fit (se voulait) plus dur et ses yeux noirs perçaient à travers ses lunettes l’imposante silhouette de l’inspecteur.

« Vous et votre science, comment pouvez-vous enseignez sur la tombe de mon père ! » m’avait-il répondu d’un ton horriblement menaçant.

-         « La tombe de son père » ? interrogea Dowper en haussant les sourcils d’un air étonné.

Mais avant que le physicien n’ait pu ouvrir la bouche, une chaise glissa bruyamment sur le sol carrelé de la pièce. L’inspecteur jeta un œil par-dessus son épaule et vit qu’un des enseignants s’était levé. C’était une femme assez âgée qui devait bien avoir atteint la cinquantaine selon les estimations du policier. Elle affichait un visage dont le temps n’avait offert aucun répit, décoré de cernes et de rides ici et là sur toute la surface, de sorte que le nez comme la bouche se noyait dans les crevasses profondes (plis profonds) que sa peau vieillissante avait créées. Ses yeux immenses, qui firent aussitôt penser à ceux d’un hibou veillant dans la nuit en quête d’une proie à se saisir, ne faisaient qu’obscurcir sa personne et la cascade de cheveux blancs cassés qui s’étalaient comme des algues sur l’ensemble de la largeur de son front ne faisaient qu’apporter du poids à ce tableau hostile. Enfin, la robe qu’elle portait lui cachait piteusement la taille mais le haut à manche courte ne pouvait dissimuler ses bras maigres enraciné de veines saillantes.

Malgré son très grand âge, Dowper fut surpris de constater avec quelle agilité elle s’était mise sur ses pieds minuscules.

-         Vous n’êtes pas au courant ? questionna-t-elle d’un air malicieux.

-         De quoi parlez-vous ? s’enquit le policier.

-         Du drame d’il y a 7 ans, annonça la vieille femme accompagnée d’une grimace qui faisait ressortir au premier plan tous les désagréments imaginables que la peau pouvait subir.

-         Vous voulez dire que celui qui s’est pendu 7 ans auparavant était le père de la victime ?! s’exclama Aaron.

L’inspecteur semblait déjà avoir oublié qu’il était accompagné de deux mômes.

-         Exactement, jeune homme, fit la vieille femme, Robert Mayson enseignait dans le même établissement que son fils, ici, et je ne crois pas me tromper en disant qu’il s’agit bien de son désir de se rapprocher de son fils qui a finalement causé sa perte.

-         Dites grand-mère, selon vous, pourquoi Mayson s’est-il donné la mort ? interrogea Aaron visiblement intéressé.

La vieille femme ne vacilla même pas face à la maladresse du langage du jeune homme, au contraire, elle commençait à l’apprécier. Il y avait la même lueur d’intérêts dans leurs yeux si bien qu’on les aurait aisément comparés à de vulgaires lampadaires conversant uniquement par le langage de leur scintillement lumineux, langage dont ils étaient les seuls à comprendre.

-         Tu sais gamin, la flamme qu’est la vie est fragile et se plie à la moindre brise qui la caresse. Je soupçonne que celle de Robert vacillait sous la menace d’un être sans cœur qui ne cherchait qu’à l’éteindre. Le tout est de savoir qui et pourquoi.

-         Je vois, donc vous n’avez pas l’ombre d’une idée, marmonna le jeune détective découragé.

-         « Je peux paraitre terriblement égoïste : délivré de mes péchés en m’élançant dans les bras de la mort, mon fils hérite du poids de la perte de son père. Mais soyez sans crainte les enfants, la balance sera très vite équilibrée au bout des 7 années à venir. ».

-         Pardon ? s’exclamèrent Aaron et Dowper.

La vieille femme sourit.

-         C’était le dernier message de notre cher Robert Mayson. C’est tout ce qu’il a laissé derrière lui.

-         Une question… madame ?

-         Lody, complèta-t-elle.

-         Madame Lody, Mayson était-il marié ?

-         Non.

-         Qu’est donc devenue Mlle Faint ?

-         Robert m’avait dit qu’elle avait succombée d’une tumeur au foie 6 mois après la naissance de Marty. Le gamin n’eut pas le temps de connaitre sa mère.

-         Je vois. Je crois que ça sera tout pour le moment, Madame Lody.

La vieille femme marmonna quelque mot inintelligible avant de retrouver sa place, vexée que le monopole de la parole lui ait échappé.

-         Monsieur Schaeffer, si j’ai bien tout saisi, est la dernière personne à avoir vu Marty Faint en vie. Donc depuis la sonnerie de 10 heures, plus personne ne l’a revu c’est bien cela ? interrogea l’inspecteur en parcourant la salle du regard.

Voyant qu’il ne perçut pas l’ombre d’une réponse, Dowper dut rompre le silence.



-         Mr Schaeffer, j’imagine qu’en 5 minutes, il vous était difficile voire impensable de pouvoir vous rendre auprès de la victime, la poignarder, de monter le stratagème de la chambre de close qui nous échappe encore et de rejoindre votre classe à charge. Donc vous n’aviez certainement rien fait de fâcheux entre 10h et 10h05.

-         Ravi de vous l’entendre dire, fit le physicien en esquissant un large sourire, soulagé.

-         Cependant, puisqu’on estime que Faint a trouvé la mort entre 10h15 et  11h15 et étant donné que vous avez terminé votre second cours à 10h30, il vous restait une marge de manœuvre de pas moins 45 minutes. Il n’y a donc pas de mobile sur lequel vous appuyer. De plus, cela ne vous exclut pas non plus pour le meurtre de sa petite amie.

Le sourire du professeur s’effaça brusquement comme si les commissures des lèvres avaient pris soudainement un poids énorme.

-         Vous avez bien une solution de cyanure dans votre laboratoire, je me trompe ?

-         C’est exact.

Tous les deux connaissaient la question suivante.

-         Vous en êtes-vous servi ? demanda posément le policier.

-         Vous vous fichez de moi ? explosa le physicien. Pour quelle raison aurais-je eu l’intention d’empoisonner une de mes élèves ? Hein, vous pouvez me dire ?

-         Calmez-vous. Je voulais simplement vous l’entendre dire. Une dernière question, que faisiez-vous pendant les fameuse 45 minutes ? insista le policier.

-         Je suis resté dans la salle de laboratoire à corriger des copies, n’ayant plus aucun cours pour le reste de la matinée, seul, ajouta-t-il en durcissant son regard.

-         Bien, en tout cas je crois que j’en ai terminé avec vous pour aujourd’hui, Mr Schaeffer. Vous pouvez vous en aller.

Mais avant même que l’inspecteur eut finit sa phrase, la porte s’était déjà refermée. Dowper poussa un long soupir : ça allait être bien plus éprouvant qu’il ne le pensait.

A la fin des interrogatoires qui avaient occupés le reste de l’après-midi, Aaron concentrait son attention désormais sur 4 personnes : Arnold Schaeffer le professeur de physique-chimie, Madelyn Felt le professeur d’anglais, Catheline Hierl le professeur de français (et enfin Sylvie Romas le professeur d’histoire-géographie.)

Tous les quatre n’avaient pas d’alibi valable. Schaeffer avait ce temps libre de 45 minutes dans son emploi du temps et étais la seule personne la plus disposée à mettre la main sur une solution de cyanure de potassium.

Madelyn Felt avait cours avec la classe de la victime dans la salle même du lieu du crime de 10h05 à 11h00. Bien évidemment, Marty était présent et celle-ci avait apparemment eu un entretien individualisé avec lui juste après la fin des cours. Elle disposait donc d’environ 15 à 20 minutes pour l’assassiner.

Catheline Hierl  avait interrompu le cours de Felt vers 10h20 pour s’entretenir elle aussi avec la victime. Elle prétend que c’était au tour de Faint de passer son oral de français en vue de la préparation du baccalauréat. L’étudiant repris son cours à 10h45, soit 25 minutes plus tard. Certes, il était retourné sain et sauf après ce laps de temps mais Aaron avait l’intuition que Mlle Hierl cachait quelque chose.

En résumé, cela lui faisait trois suspects bien qu’il ne savait pas encore s’il fallait se mettre à la recherche d’un assassin ou de plusieurs auteurs. Le fait est qu’il était persuadé que le premier meurtre était signé par une femme, soit Mlle Felt, soit Mlle Hierl. Désormais, il avait connaissance de l’emploi du temps de Marty Faint et il lui restait naturellement la tache de découvrir ce qu’on voulait leur cacher, après tout, c’est bien le devoir d’un détective d’amener en lumière tout ce que chacun enfoui dans les entrailles du passé comme un mauvais souvenir.